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"La Bonne Mère"

Sur le quai à Oran, j'ai vite repéré des « marsouins », du 22e Régiment d'infanterie de Marine basé à Marnia.

Deux « serpattes » ont la quille, les anciens chefs de groupe de la section de Jean-Pierre, tué dans un assaut à dix jours de la quille. Ils me racontent comment ça s'est passé, très émus. Ils l'aimaient bien leur « sous-bite ».

Nous montons à bord du SS Georges Plumier une vieille baille inénarrable et c'est la traversée sans histoire du retour au pays.

En partant en AFN, on voyait la tour de Notre-Dame de la Garde devant nous, perchée sur sa colline. Cette fois, on la voit sur l'arrière du bateau.

Nous approchons du débarcadère.

Il y a plein de civils sur le quai et à l'étage au-dessus. Des bras s'agitent. Nous sommes encore un peu loin pour bien reconnaitre quelqu'un.

Une clameur monte à l'avant du bateau.

Une sorte de hourrah qui se voudrait triomphant et joyeux, qui s'envole, prend de l'ampleur, se casse decrescendo et s'arrête dans les gorges qui coincent.

Nous accostons dans un silence de mort, figés. Pétrifiés eux aussi, les civils en face regardent ces gars qui reviennent de l'autre côté.

J'ai la gorge serrée, les yeux secs. Des embryons de pensées, vite bloqués, tentent de me passer par ta tête. Des trucs sur le retour à la vie civile, des trucs sur les copains, des trucs pas croyables comme par exemple « C'est fini ».

Il faut colmater cela à toute vitesse, empêcher que ça se développe. Ne pas penser.

Surtout ne pas penser ...

RIEN

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